Début novembre, nous recevions Claire Lemercier et Willy Pelletier pour la présentation de leur ouvrage paru récemment, « La Haine des fonctionnaires » (2024).
D’où vient-elle, cette « haine » ? Les auteur·ices donnent à voir trois flots de mépris des fonctionnaires différents qui confluent en un délétère torrent :
1️⃣ Celle des milieux populaires face à des fonctionnaires, qui sont bien souvent les seuls à même de les aider mais ne le peuvent pas toujours, par le manque de moyens humains et financier dont ils souffrent ainsi que la cannibalisation de leur temps de travail par les exigences de reporting ;
2️⃣ Celle de responsables politiques, économiques et médiatiques acquis aux thèses du « nouveau management public » et du néo-libéralisme ;
3️⃣ Celle des fonctionnaires pour eux-mêmes, pour ce qu’ils sont contraints de faire, ce qu’ils n’ont plus le temps ou les moyens de faire : celle des profs aux classes de 40 élèves, des infirmières qui n’ont plus le temps de prendre soin, des assistantes sociales débordées et sans plus de moyens…
Selon ces auteur·ices, nous sommes aujourd’hui à « un point de basculement historique », qui appelle plus que jamais à la mobilisation de toutes celles et ceux qui savent toute la valeur des services publics ! (Re)visionnez le replay ici :
Et découvrez le compte-rendu détaillé : ☘️ Willy Pelletier et Claire Lemercier présentaient leur ouvrage paru récemment La Haine des fonctionnaires (Éditions Amsterdam, 2024). L’occasion de nous rappeler à quel point « les idées toutes faites à l’endroit des fonctionnaires sont bien souvent des idées toutes fausses ».
- Fonctionnaires = paresseux ?
Ce rappel était particulièrement nécessaire dans le cadre des débats provoqués par la proposition du gouvernement d’augmenter le délai de carence des fonctionnaires, visant à réduire « l’absentéisme ». Cette proposition repose sur la caricature bien connue de fonctionnaires profiteurs et paresseux.
Cette idée ne résiste en effet pas à l’épreuve des faits : à métiers identiques entre le privé et le public, les fonctionnaires ne sont pas plus en arrêt maladie que dans le privé. Dans leur livre, les auteur·ices montrent même que certaines catégories de fonctionnaires (entre la territorial, l’État et l’hospitalière) sont même parfois moins en arrêt maladie que les salarié·es du privé. Selon eux, « 5,2 % des fonctionnaires, contre 4,4 % des salariés du privé, ont eu [en 2019] recours aux arrêts maladie ». Et de démontrer que pour « les fonctionnaires d’État, le pourcentage est […] inférieur au privé : seulement 3,6 % ».
Derrière les chiffres du gouvernement, et « l’absentéisme » affiché des fonctionnaires, ce sont plutôt des différences de métiers et de conditions de travail qui se cachent :
- L’âge moyen des fonctionnaires est de 50 ans, soit 10 de plus que les travailleur·euses du privé, et le risque de maladie et problèmes de santé augmentent avec l’âge ;
- Les fonctionnaires connaissent une plus grande exposition aux risques, parce qu’iels sont davantage en contact avec le public – que l’on pense à toutes celles et ceux qui travaillent à l’hôpital ;
- Pour l’essentiel, les fonctionnaires ne sont pas des gens assis sur leurs chaises toute la journée, mais essentiellement des ouvriers, des employés, des professeur·es, des agents d’entretien des égoutiers, des forestiers, des aides-soignantes et des agents des routes ; autant de métiers indispensables au bon fonctionnement des services publics, au bénéfice de la vie quotidienne des citoyens. Or, comme nous le rappelle Willy Pelletier, « on est davantage en congé maladie quand on est aide-soignante que quand on est cadre à TF1 ! »
- D’où vient la « haine des fonctionnaires ? »
Les auteur·ices donnent à voir trois flots de mépris des fonctionnaires différents qui confluent en un délétère torrent :
- Celle des milieux populaires face à des fonctionnaires, qui sont bien souvent les seuls à même de les aider mais ne le peuvent pas toujours, par le manque de moyens humains et financier dont ils souffrent ainsi que la cannibalisation de leur temps de travail par les exigences de reporting ;
- Celle de responsables politiques, économiques et médiatiques acquis aux thèses du « nouveau management public » – caractérisé par une « séparation entre les fonctions de stratégie, de pilotage et de contrôle et les fonctions opérationnelles de mise en œuvre ; la fragmentation des bureaucraties verticales par création d’unités administratives autonomes (des agences), par la décentralisation ou par l’empowerment de groupes d’usagers ; le recours systématique aux mécanismes de marché ; la mise en place d’une gestion par les résultats fondée sur la réalisation d’objectifs, la mesure et l’évaluation des performances et de nouvelles formes de contrôle dans le cadre de programmes de contractualisation. » (Bezes, 2012, p. 17) ;
- Celle des fonctionnaires pour eux-mêmes, pour ce qu’ils sont contraints de faire, ce qu’ils n’ont plus le temps ou les moyens de faire : celle des profs aux classes de 40 élèves, des infirmières qui n’ont plus le temps de prendre soin, des assistantes sociales débordées et sans plus de moyens…
Pris en étau entre ces haines « d’en bas », « d’en haut » et « d’eux-mêmes », il ne reste plus beaucoup d’espace aux fonctionnaires pour déployer leurs compétences et désirs d’agir au service de l’intérêt général. Pis, cet étau est un terrain propice à l’enclenchement d’un terrible cercle vicieux : plus la destruction des services publics avance, plus la légitimité des fonctionnaires s’amenuise, et plus les critiques de ses détracteurs semblent fondées. Selon ces auteur·ices, nous sommes à « un point de basculement historique », qui appelle plus que jamais à la mobilisation de toutes celles et ceux qui savent toute la valeur des services publics.
- Les dommages de l’externalisation
L’externalisation est un phénomène peu présent dans le débat public, alors qu’il est déterminant dans l’état actuel du marché du travail et des services publics en particulier. L’ouvrage s’intéresse à l’externalisation des services publics « par le haut », soit par des cabinets de conseil, et « par le bas », par le recours à des sous-traitant pour effectuer un ensemble de tâches, notamment celles du nettoyage.
- Le discours sur l’écologie punitive participe-t-il de ce fonctionnaire bashing ?
L’écologie bashing et le fonctionnaire bashing ne font qu’un, et ont tous les deux pour eux d’être plus que des discours mais bien des pratiques. La situation de l’ONF et des forestiers l’illustre : les forestiers ont pour métier ce qui était pour eux une vocation, et celle-ci est empêchée. La médecine du travail est aujourd’hui le secteur le moins choisi par les étudiants : cela n’aide pas à assurer le suivi de la santé des fonctionnaires exposés, et notamment les forestiers. C’est « l’empire des comptes » : on rogne sur tout pour la rentabilité financière immédiate. Cela pose un grave problème quand cela s’attache à de sujets n’appartenant pas à cette logique de rentabilité immédiate (santé, forêts). La mise sous tension de ces différents secteurs produit des aggravations réciproques : ici moins de médecins du travail entraîne moins de forestier en bonne santé donc détérioration de l’état des forêts et in fine de la santé globale…
Un autre exemple développé dans l’ouvrage est celui du défaut d’entretien des routes, qui entraîne des accidents ; des services de secours qui arrivent tardivement du fait de leur émiettement et du manque de personnel, puis le temps d’attente aux urgences en CHU. L’enchaînement de ces manquements produit un accroissement significatif de la mise en danger des populations.