Cette tribune, parue sur le site du Monde le 25 mai, est accessible sur https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/05/25/climat-et-biodiversite-suggerer-qu-il-faut-accorder-plus-de-temps-aux-citoyens-aux-agriculteurs-et-aux-entreprises-contredit-le-consensus-scientifique_6235478_3232.html
A l’aube de son second quinquennat, le président de la République déclarait faire de la transition écologique une priorité (« La politique que je mènerai dans les cinq ans à venir sera écologique ou ne sera pas », déclarait-il en avril 2022). L’année 2023 a vu le lancement de la planification écologique, l’adoption de plusieurs lois (décarbonation de la production d’énergie, industrie « verte », etc.), le déploiement d’un plan de formation des agents publics aux enjeux environnementaux, l’approfondissement de la démarche « budget vert »… Sept milliards d’euros supplémentaires étaient alloués à la transition écologique dans la loi de finances initiale pour 2024.
Or, en l’espace de quelques semaines, une série de décisions prises pour répondre aux revendications des agriculteurs, puis dans le cadre du plan d’économies budgétaires, questionnent la détermination du gouvernement à respecter le rythme, et les trajectoires qu’il avait lui-même définies et fixées après des concertations et négociations avec les parties prenantes.
Suggérer que le rythme des changements est trop rapide et qu’il faut accorder plus de temps aux citoyens, aux agriculteurs et aux entreprises contredit le consensus scientifique sur le climat et la biodiversité, et ignore l’accélération visible de la dégradation des conditions environnementales ces dernières années.
Les coupes budgétaires annoncées récemment réduisent l’effort consenti à l’appui de la transition écologique, qui était pourtant déjà inférieur aux besoins estimés par les économistes Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, ainsi que par une centaine d’experts associés, dans leur rapport, commandé par l’exécutif en septembre 2022, sur le financement de la transition écologique.
C’est un message d’instabilité, d’incertitude et de manque d’engagement qui est ainsi envoyé à tous les acteurs. A l’inverse, dans la perspective de nouvelles restrictions budgétaires, les investissements liés à la transition écologique doivent être garantis tout comme les capacités d’autofinancement des collectivités locales, essentielles à leurs propres investissements, préservées.
Nous mesurons déjà le « coût de l’inaction » identifié par l’économiste Nicholas Stern dès 2006, par la hausse des maladies respiratoires liées à la pollution de l’air ou les déperditions d’eau liées à un entretien insuffisant des réseaux de distribution. La Cour des comptes, dans son récent rapport sur l’adaptation au changement climatique, a souligné l’aspect paradoxal des économies réalisées sur la transition écologique, qui impliqueront un coût budgétaire encore plus grand à moyen terme.
L’abandon de différentes taxes sur les pesticides ou sur le carburant agricole contredit également les préconisations de l’inspection des finances sur la nécessité de réorienter la fiscalité en pénalisant les activités néfastes à l’environnement. Les fluctuations sur les conditions d’attribution de MaPrimeRénov’ déconcertent et démotivent les citoyens prêts à rénover leurs logements, et contribuer ainsi à la décarbonation et à la maîtrise de la consommation d’énergie.
En tout état de cause, ces hésitations gouvernementales soulèvent des doutes quant à la capacité de la France à respecter ses engagements environnementaux. En outre, elles entraînent des réactions négatives, parfois violentes, contre les agents publics en charge de la mise en œuvre de ces politiques, mettant en évidence le besoin urgent de protection et de soutien par l’Etat.
Certains, en première ligne de la mise en œuvre des politiques environnementales, sont désignés comme les boucs émissaires de décisions de l’Etat qui demandent des sacrifices perçus comme contraignants, injustifiés et injustes.
Ainsi, en janvier 2024, les locaux d’une administration-clé dans l’application des politiques environnementales en région, à savoir la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) Occitanie à Carcassonne (Aude), ont été visés par une attaque marquant un point culminant de la tension entre politiques environnementales et autres politiques sectorielles.
Il est en outre possible de citer les dirigeants de l’Office français de la biodiversité qui ont fait part, lors d’une audition au Sénat le 21 mars, du « sentiment d’humiliation profonde » et de remise en cause ressenti par leurs personnels. Tous les agents publics attendent légitimement de l’Etat qu’il les protège contre les violences, mais aussi qu’il les soutienne contre le dénigrement, et se tienne à leurs côtés lorsqu’il s’agit d’appliquer la loi.
Le plan de formation des agents de la fonction publique lancé par le gouvernement depuis octobre 2022 affiche des objectifs très ambitieux, tant par le nombre des agents à former (2,5 millions d’agents publics de l’Etat en 2027) que par les moyens déployés. Comment justifier cette ambition, aux yeux des intéressés eux-mêmes, si la mise en œuvre d’écogestes, certes utiles, prend le pas sur le déploiement de politiques publiques cohérentes et intersectorielles ?
Il ne suffira pas de rendre le fonctionnement des services publics plus écologique pour atteindre les deux tonnes par habitant compatibles avec la neutralité carbone. Le lancement officiel par le premier ministre, le 28 mars, du plan « de transformation écologique de l’Etat » ne doit pas, en mettant en avant la seule responsabilité des services publics, faire oublier les objectifs fixés, pour chaque secteur d’activité économique, par la planification écologique. Ces contradictions risquent d’avoir un puissant effet démobilisateur sur la fonction publique, et au-delà, sur l’ensemble de la société française.
Pourtant, les émissions françaises de gaz à effet de serre (hors importations) ont reculé de près de 6 % en 2023, prouvant l’efficacité des efforts réalisés et la possibilité d’obtenir des résultats dans la lutte contre le dérèglement climatique.
Dans ce contexte écologique, le gouvernement doit non seulement soutenir, mais accélérer vigoureusement sa transition écologique. Maintenir le cap de la planification écologique est indispensable face aux immenses enjeux qui nous attendent, et doit être maintenu à travers les tempêtes politiques, pour préserver l’habitabilité de la planète.
Liste des signataires : Marc Abadie, vice-président de l’association Une Fonction publique pour la transition écologique (FPTE), Benjamin Caraco, trésorier, FPTE, Pierre-Henry Dodart, membre du conseil d’administration, FPTE, Christine Moro, vice-présidente, FPTE, Florence Guéry, membre de l’association Le Lierre, Wandrille Jumeaux, cofondateur de l’association Le Lierre, Emilie Agnoux, cofondatrice du Sens du service public, Johan Theuret, cofondateur du Sens du service public, Prune Helfter-Noah, co-porte-parole du collectif Nos Services publics, Marie Pla, membre de Nos Services publics.