Publié dans Les Échos, le lundi 22 avril 2024.
« Moteur de changement économique, la commande publique reste limitée par un cadre juridique qui n’a pas été pensé pour la transition écologique », observent Julien Fabre et Frédéric Benhaim. Ils appellent à repenser la réglementation européenne, et formulent plusieurs propositions en vue des élections à venir.
Avec un poids estimé à plus de 300 milliards d’euros annuels, la commande publique est un puissant levier de transformation économique. Son potentiel est toutefois limité par un cadre juridique qui n’a pas été pensé pour en faire un outil au service de la transition écologique et sociale.
Ces dernières années, la France a tenté d’ajuster ce cadre aux enjeux sociaux et écologiques. La loi sur l’économie sociale et solidaire (ESS) de 2014 a constitué l’un des premiers tournants vers une approche plus durable de la commande publique. Pour la première fois, on lui a assigné des objectifs autres que strictement juridiques ou économiques. Plus récemment, les lois Agec et « Climat et Résilience » ont permis de renforcer l’intégration des considérations environnementales, en visant leur systématisation à l’ensemble des marchés publics au plus tard en 2026.
Impulser la transition
Bien que limité par des délais d’entrée en vigueur et de déploiement opérationnel trop longs, ces premiers efforts législatifs sont stratégiques. Les marchés publics tendent en effet à être un véritable moteur de changement, y compris sur les marchés privés.
Si elles ne veulent pas renoncer aux marchés publics – qui représentent environ 14 % du PIB – les entreprises doivent aligner leur offre sur ces nouvelles exigences. En intégrant des considérations environnementales et sociales, et en donnant de la visibilité sur sa stratégie d’achat, la commande publique a ainsi le pouvoir d’impulser la transition des acteurs économiques.
Pour aller plus loin, il nous faut désormais nous tourner vers Bruxelles. En effet, le Code de la commande publique qui régit les marchés publics français découle des directives européennes adoptées en 2014. Or, ces textes ont été pensés dans un contexte de construction du marché intérieur européen, dans un objectif de compétitivité et de performance économique ignorant les questions climatiques. Il est impératif de ré-interroger les principes fondateurs de ces directives afin de les adapter aux défis de notre temps et d’aligner la commande publique avec les objectifs de transition.
Trois axes de révision
Repenser les directives de 2014 devrait notamment permettre d’adresser plus frontalement la question du localisme ; le local pouvant s’envisager à l’échelle d’une collectivité, d’un pays ou de l’UE. Pour ce faire, trois axes de révision peuvent être envisagés. Il s’agit tout d’abord de permettre d’imposer, lorsque c’est pertinent, un localisme d’exécution, en particulier par le biais d’un mécanisme d’exception alimentaire. Une collectivité qui souhaite favoriser les réseaux locaux pour fournir ses cantines scolaires doit pouvoir le faire en toute sécurité juridique.
Un deuxième axe consiste à valoriser plus amplement les externalités économiques et sociales de l’achat. Un critère d’attribution pondéré permettrait de tenir compte, lors de l’attribution, des richesses économiques et fiscales, des créations et maintiens d’emplois ou encore de l’engagement social induits par l’achat réalisé.
Enfin, l’UE doit encourager les coopérations industrielles stratégiques et définir des objectifs chiffrés demarchés confiés aux entreprises locales. A la manière du Buy American Act, ce « Buy Green European Act » permettrait aux pouvoirs publics de s’approvisionner auprès de fabricants locaux et de récupérer une forme d’autonomie stratégique.
Faire évoluer la réglementation européenne sur la commande publique est ainsi essentiel. Alors que se profilent les élections européennes, nous appelons l’ensemble des candidats à s’emparer de ces enjeux pour faire de la commande publique durable une priorité de la prochaine mandature.
Julien Fabre est copilote du Groupe de travail « Union européenne » du Lierre.
Frédéric Benhaim est président d’Entreprendre Vert.