Dans une tribune au « Monde » parue le jeudi 18 janvier, le Lierre s’associe à un collectif de fonctionnaires et de chercheurs pour demander au président, Emmanuel Macron, et au premier ministre, Gabriel Attal, de conserver l’organisation de l’administration du ministère de l’écologie, pour éviter que le rattachement de l’énergie à Bercy n’affaiblisse notre ambition climatique et notre action en faveur de la transition énergétique.
La nomination du gouvernement de Gabriel Attal, le 11 janvier, pourrait avoir pour conséquence de retarder encore davantage la planification écologique et énergétique ainsi que sa mise en œuvre concrète, alors que le milieu de la décennie, décisive pour le climat selon les scientifiques, approche.
Le gouvernement a prévu de rattacher l’énergie au ministère de l’économie dans le cadre de la relance de l’industrie nucléaire. Cette rétrogradation d’un ministère de plein exercice à un ministère délégué, alors que l’inflexion de nos émissions de gaz à effet de serre n’est toujours pas à la hauteur de l’urgence climatique, crée des difficultés supplémentaires.
Cette décision semble négliger le fait que les problématiques énergétiques et climatiques – et plus généralement environnementales – sont intrinsèquement liées et ne peuvent plus être pensées séparément. Pour le comprendre, il suffit de regarder la cinquantaine de leviers identifiés par le Secrétariat général à la planification écologique pour réduire les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, dont l’écrasante majorité est liée à l’énergie. Or, si les attributions ministérielles sont aisément transférables politiquement, il n’en est pas de même des administrations, dont l’organisation se construit sur des années.
Ce remaniement risque de mettre à mal l’efficacité des administrations au service des politiques publiques énergie-climat de la France. Depuis 2007 et la création d’un « superministère » de l’environnement incluant l’énergie et les secteurs des transports, du bâtiment et de l’aménagement, les services de l’Etat se sont organisés pour mener à bien l’élaboration des politiques énergétiques et climatiques.
En 2008, la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) voit le jour. Elle est désormais le bras armé administratif de l’action énergétique et climatique de l’Etat. Au sein de cette instance, énergie et climat sont entremêlés à un point tel que l’on ne peut les détricoter sans repartir de zéro. A titre d’exemple, le bureau des économies d’énergie et de la chaleur renouvelable, qui agit sur deux leviers majeurs pour atteindre nos objectifs climatiques, fait partie de la direction du climat.
Les problématiques énergétiques sont également intégrées aux enjeux environnementaux dans les services déconcentrés de l’Etat depuis une quinzaine d’années : entre 2009 et 2011, les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) sont créées ; en 2010, ce sont les directions départementales des territoires (DDT) qui viennent compléter le tableau. Elles sont opérationnelles pour la mise en œuvre des politiques publiques énergétiques et climatiques.
Prenons l’exemple de la définition en cours par les communes des zones d’accélération des énergies renouvelables : les DDT accompagnent les communes et rassemblent les zones qu’elles remontent, les DREAL analyseront leur cohérence avec les objectifs régionaux pour préparer l’avis des comités régionaux de l’énergie, et la DGEC pilote l’ensemble de ce dispositif.
Il est clair que le transfert de la DGEC sous la responsabilité de Bercy ne serait ni souhaitable ni réalisable. Ce n’est pas un hasard si, entre 2010 et 2012, quand le ministère de l’énergie a été transféré temporairement à Bercy, la DGEC est de fait restée sous l’autorité du ministère de l’écologie, conjointement avec le ministère de l’économie.
Une solution de compromis pour répondre au transfert du ministère de l’énergie à Bercy serait que la sous-direction « industrie nucléaire » de la DGEC soit placée sous l’autorité conjointe des deux ministères. Cela favoriserait une collaboration plus étroite avec le bureau énergie de la direction générale du Trésor et le service de l’industrie de la direction générale des entreprises. Le reste de la direction générale de l’énergie et du climat, parce que les thématiques énergétiques et climatiques y sont imbriquées et indissociables, parce qu’elle est l’administration référente pour les DREAL et DDT, doit demeurer sous l’autorité unique du ministère de la transition écologique. Sinon, le fossé qui nous sépare d’une action climatique suffisante s’agrandira, et nous prenons le risque de ralentir notre action alors que nous devons l’accélérer pour atteindre nos objectifs.
Nous proposons donc une cotutelle des ministères de l’économie et de la transition écologique sur la DGEC lorsque celle-ci exerce ses compétences en matière d’industrie nucléaire, et une tutelle exclusive du ministère de la transition écologique pour tous les autres sujets liés à l’énergie et au climat.
D’autres administrations de ce ministère traitent aussi d’énergie aux côtés d’autres enjeux, comme la direction de l’action européenne et internationale, qui gère la politique internationale du ministère de la transition écologique, notamment les négociations dans les conférences des parties biodiversité ou climat. Pour garantir la cohérence de la parole de la France à l’étranger, cette direction doit aussi conserver son intégrité, en étant placée sous l’autorité du ministre de la transition écologique.
Le président de la République a promis que ce quinquennat « sera[it] écologique ou ne sera[it] pas ». Alors que nous sommes à mi-chemin du mandat et au cœur de la décennie cruciale pour atténuer le réchauffement climatique, nous appelons Emmanuel Macron et le premier ministre, Gabriel Attal, à travers les décrets d’attribution, à ne pas revenir dix-sept ans en arrière et à garder en main les clés pour préparer un monde vivable pour le reste du siècle. Cela passe par une administration efficace, concernée et opérationnelle.
Tribune signée par Wandrille Jumeaux et Raphaël Yven, cofondateurs du réseau écologiste Le Lierre ; Alessia Lefébure et Marc Abadie, présidente et vice-président de l’association Une fonction publique pour la transition écologique ; Nicolas Goldberg, responsable énergie du think tank Terra Nova ; Andreas Rüdinger, chercheur sur les politiques énergie et climat ; Léa Falco, cofondatrice du collectif Construire l’écologie ; Salomé Guilbert et David Glotin, coprésidente et responsable plaidoyer de l’association Déclic collectif.