
Un vent mauvais souffle sur la transition écologique
Les derniers travaux parlementaires remettent clairement en cause des mesures législatives censées favoriser et accélérer la transition écologique. Après les coupes budgétaires conséquentes du Ministère de la Transition Écologique, la remise en cause de l’objectif de ZAN (zéro artificialisation nette à horizon 2050 pour protéger nos sols et la biodiversité), les attaques ciblées contre les opérateurs environnementaux publics et la volonté affirmée de les fusionner, les affaiblir ou même les supprimer, le discours anti-écolo prospère, avec la loi Duplomb (qui vise entre autres à réintroduire certains néonicotinoïdes et poursuivre un modèle agricole à bout de souffle) et l’amendement visant à sécuriser la conformité de projets comme celui de l’autoroute A69. Dernier épisode en date, mercredi 28 mai, quand l’Assemblée adopte un amendement de suppression des ZFE (Zones à faibles émissions) dans le cadre de l’examen du projet de loi sur la simplification de la vie économique.
Nous vivons indiscutablement une période de recul des politiques publiques écologiques au moment même où les travaux du Secrétariat général à la planification écologique sont en panne. Le déroulement des travaux parlementaires, l’enchaînement des décisions politiques nationales et européennes (comme sur la CS3D), et la façon même dont se déroule le débat public en disent long sur la relégation des objectifs de transition écologique, souvent en mobilisant une rhétorique anti-science.
Des décisions qui auront des conséquences sur notre santé et notre avenir
L’ensemble de ces décisions, si elles venaient à être confirmées et mises en œuvre, produiront des effets globalement néfastes pour l’atteinte des objectifs nationaux, alignés sur les engagements internationaux de la France.
La suppression pure et simple des ZFE illustre bien le gâchis – de temps, d’argent et de crédit politique – que représente une action publique mal conçue, portée et mise en œuvre. Si ce vote est confirmé au Parlement et validé par le Conseil constitutionnel, il conduira à abandonner ou à nous éloigner de l’objectif poursuivi d’amélioration de la qualité de l’air, pour la santé et toutes et tous. À l’instar des pesticides qui détruisent le vivant, la pollution de l’air n’est pas une vague notion de qualité de vie. Elle tue et vole des années de vie. Santé publique France a déterminé que la pollution de l’air est responsable de 40 000 décès prématurés chaque année, soit une perte d’espérance de vie de près de 8 mois, et 7% de la mortalité totale de la population française.
Initiées par la Loi d’orientation des mobilités de 2019 pour limiter les émissions de particules fines, les ZFE ont été renforcées par la loi Climat et Résilience de 2021, loi censée traduire une partie des 146 propositions de la Convention citoyenne pour le climat (CCC).
La principale faiblesse des ZFE est dans leur mise en œuvre, car en dépit des réussites constatées dans plusieurs pays européens et des rapports produits (voir le rapport de l’IGEDD sur le sujet) pour en améliorer le cadre et les conditions de déploiement, l’État n’a pas réussi à en faire un outil perçu comme utile et équitable pour les collectivités et publics concernés. Sans portage politique fort ni financement, les élus locaux se sont retrouvés en première ligne dans l’application d’une réglementation venue d’en haut, sans appui pour en faire la pédagogie (pourtant indispensable face aux crispations et craintes exprimées), ni moyens pour contrôler le bon respect des interdictions. La faiblesse des aides à l’achat des véhicules propres pour les ménages modestes et le sous-investissement chronique dans les trains du quotidien donnent des arguments à ceux qui prétendent que ces mesures nourrissent l’exclusion sociale.
L’impératif de justice sociale ne doit pas servir de prétexte à l’abandon en rase campagne de politiques de transition écologique incontournables à la protection de la santé et de l’environnement, mais au contraire appeler à les renforcer avec des mesures sociales et d’accompagnement ambitieuses.
Des raisons d’espérer et de ne pas renoncer
Cette succession de mesures contraires aux objectifs de transition écologique doit servir d’électrochoc à tous celles et ceux qui ont conscience qu’il y a urgence à agir pour préserver l’avenir, sur une planète habitable et dans une société juste et soutenable.
Cet espoir se nourrit d’une réalité bien concrète : celui des résultats obtenus dans les pays et les villes qui mettent en œuvre des politiques publiques de transition, malgré les résistances et les oppositions bruyantes. A Paris, la création des couloirs bus et des pistes cyclables a bouleversé les mobilités, grâce à un réseau de transport collectif très dense et dans lequel la puissance publique a massivement investi. A Dunkerque, la Ville et la Région Hauts-de-France portent la troisième révolution industrielle et investissent dans la transition énergétique pour conserver l’emploi des industries locales. A Lyon, la qualité de l’air s’améliore fortement depuis 2019, sous l’effet conjugué des investissements publics pour les mobilités décarbonées et des efforts entrepris par les industries (et les particuliers, pour le chauffage au bois) pour réduire leurs émissions polluantes (particules fines).
Une autre raison d’espérer est la confiance que nous avons sur notre capacité à faire mieux. Faire mieux, c’est améliorer l’action publique jusqu’au “dernier kilomètre”, c’est renforcer l’acceptabilité sociale et l’équité dans les efforts demandés à chacun, à hauteur de ses besoins, et en accompagnant davantage les usagers et acteurs territoriaux.
Transformer l’action publique face à l’urgence écologique
L’action publique autour de la mise en place des ZFE a pâti de nombreuses insuffisantes, dont nous avons à tirer les enseignements (manque de pédagogie en amont des mesures pour présenter les objectifs et en quoi ils répondent à l’intérêt général, aides financières complexes, insuffisantes et peu accessibles, peu d’accompagnement ciblé des professionnels du secteur automobile, manque d’investissement dans les alternatives à la voiture). Surtout, elle illustre la frilosité de l’État et des collectivités concernées à assumer des changements contraignants qui touchent au quotidien des habitants, à leur voiture et à la liberté de circulation qui est et doit rester un droit fondamental.
L’exemple des ZFE est instructif, et il n’est pas trop tard pour réussir leur déploiement, si c’est la volonté politique de nos décideurs (cf la note de Marine BRAUD pour Terra Nova, le think tank en ligne ici). Il éclaire les nombreuses difficultés auxquelles nous devons faire face dès qu’il est question de sortir du statu quo pour faire évoluer nos modes de vie, de production et de consommation vers plus de justice, de soutenabilité et de sobriété.
Le réseau du Lierre travaille sur ces questions, convaincu qu’une transformation profonde de l’action publique est nécessaire pour concrétiser la transition écologique et solidaire et atteindre des objectifs largement partagés dans la société.
De notre point de vue, la transition écologique doit absolument être pensée et mise en œuvre en partant des réalités sociales et dans une approche de transition juste. Les incitations, les mesures, les messages, doivent être clairs, concrets, adaptés aux réalités vécues de la population, aux possibilités d’action et aux responsabilités des uns et des autres. Une priorité absolue doit être donnée au partage et la redistribution des bénéfices et opportunités de la transition écologique dans un sens de justice sociale – qu’il s’agisse d’impacts positifs sur la santé, l’emploi, le cadre de vie ou la qualité de vie au quotidien…
Nouer de nouvelles alliances et coopérer
Nous pensons aussi que l’implication directe de citoyens au niveau local, sur le modèle des Conventions citoyennes, permet de renforcer l’acceptabilité sociétale des feuilles de route déployées et la pertinence des actions identifiées, tout en contribuant à la vitalité démocratique locale et à réduire et restaurer la confiance entre gouvernés et gouvernants. La transition ne se fera que si les acteurs économiques et sociaux, les collectivités et les citoyens se l’approprient, coopèrent et se mobilisent autour d’un chemin construit collectivement, à l’image des COP régionales impulsées fin 2023 par l’État.
Ces convictions sont au cœur de notre premier ouvrage collectif, sorti le jour même du vote sur les ZFE, et qui associe une vingtaine de fonctionnaires, dirigeants, experts, élus, chercheurs et représentants syndicaux. Nous y présentons des pistes d’action et des orientations pour inventer un État stratège de la transformation écologique, du bien vivre et des communs. Nous y présentons surtout, comment la décision publique doit évoluer, pour mieux intégrer la science, les citoyens et les acteurs locaux, et créer de nouvelles alliances.
Nous voyons tous les jours l’urgence à agir pour adapter notre société, accompagner et protéger les populations les plus vulnérables. Nous croyons en la possibilité de créer de la cohésion sociale autour de l’impératif de transition écologique, à l’image des promesses de la convention citoyenne pour le climat. Nous croyons que l’action publique joue plus que jamais un rôle central pour répondre à l’urgence écologique et qu’il n’y a pas de fatalité, ni de raison de renoncer.

Pour aller plus loin :
- La présentation de notre livre aux LES ÉDITIONS DE L’ATELIER est ici.
- Notre note de juillet 2024 sur les enjeux écologiques du mandat est ici.
- Les photos de notre événement de présentation du livre le mardi 28 mai à Académie du Climat de Paris sont ici.
- Notre prochain événement de présentation du livre, le 18 juin à la Public Factory de Lyon