Mettre les Hommes et la Terre au repos – Contribution au débat sur la réforme des retraites

En plein débat sur la réforme des retraites et alors que le monde entier bascule dans une crise environnementale sans précédent, des membres du Lierre interrogent l’ordre de priorité politique et font le lien entre climat et retraites, car les questions d’inégalités intergénérationnelles et sociales se posent dans les mêmes termes. Cette contribution libre de membres du réseau ne saurait engager le Lierre.

Réforme des retraites, avenir de la planète, même combat ?
Certains auront déjà fait le rapprochement : si la décennie 2030 marquera le passage de l’âge légal de la retraite à 64 ans selon la réforme proposée par le gouvernement, elle sera aussi celle du dépassement du seuil de 1,5° C de réchauffement climatique selon les scénarios du GIEC.

Alors que le monde entier est en train de basculer dans une crise environnementale sans précédent, ce projet de réforme interroge sur l’ordre de priorité politique. Plus que climatique et sociale, l’urgence serait budgétaire. Or, la réponse apportée pour combler un potentiel déficit repose sur la méthode bien connue : travailler plus (longtemps) pour gagner plus. Réflexe d’une politique néo-libérale qui peine à se réinventer, cette réforme poursuit la logique productiviste d’une croissance infinie reposant sur l’exploitation des ressources et des hommes et femmes. Cette réforme serait-elle ainsi le dernier symptôme d’un système économique obsolète qui ignore les réalités de nos limites planétaires, de notre santé et du sens profond donné au travail ?

Alors que des études démontrent que la semaine de quatre jours permettrait de réduire l’empreinte carbone d’un pays de 21,3%, que la crise énergétique interroge frontalement nos modèles de production et de consommation, ce n’est pas de plus de travail mais de plus de temps dont nous avons besoin. Plus de temps consacré à s’occuper de nos proches, à faire vivre la solidarité, à jardiner, réparer, manger, voyager de manière plus durable. Ce temps dont bénéficie aujourd’hui les retraités, et dont l’utilité sociale n’est pas mesurée par les indicateurs économiques de notre croissance moderne. Loin d’être paresseux et impatients d’une retraite au soleil, peut-être que les Françaises et les Français se mobilisent aujourd’hui contre le « travailler toujours plus pour polluer plus », et pour travailler moins et vivre mieux ?

Que l’on parle de planète ou de retraite, les questions d’inégalités intergénérationnelles et sociales se posent dans les mêmes termes. Pour les jeunes générations, comment espérer bénéficier un jour d’un système par répartition solidaire face à un avenir climatique aussi incertain ? On leur demande de payer aujourd’hui pour des fruits qu’ils ne récolteront pas demain, tout en leur laissant un environnement pollué, exploité, déréglé. Pour les travailleurs, comment accepter de contribuer plus longtemps sans prendre en considération les différences de pénibilité du travail, la montée de la précarité et des inégalités de salaires ? L’iniquité de cette égalité de traitement rappelle celle de la loi écotaxe, qui ne prenait pas en compte l’impossibilité pour certains d’avoir recourt à des choix moins polluants et la corrélation entre le niveau de vie et l’empreinte écologique. De même que la réforme favorisera à terme l’émergence d’une retraite à double vitesse, en permettant à certains de travailler moins longtemps par la généralisation des fonds de pension privés, les crises environnementales toucheront de manière disproportionnée les plus vulnérables.

Alors, quitte à s’inquiéter pour 2030, profitons du débat ouvert par cette mobilisation pour penser collectivement une société dans lequel le travail et la production reprendraient leur juste place pour ne pas être les seules mesures du progrès humain. Un débat politique complexe mais ô combien important, qui nécessite sans doute plus de 50 jours, et qui est a priori empêché par le véhicule législatif choisi pour porter cette réforme (le projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale, PLFRSS).

Cette réforme des retraites nous rappelle que justice sociale et justice environnementales sont les deux faces d’une même pièce, sujet qui sera le thème de la prochaine journée du Lierre le samedi 11 mars prochain. Nous recevrons des associations, représentants syndicaux, parlementaires et agents publics autour d’une question qui nous semble essentielle : Quelle écologie pour une société plus juste et solidaire ?

Sur le même sujet, nous vous recommandons la tribune du philosophe Patrice Maniglier « Le coût de la transition écologique sera porté une fois de plus par le travail ».

En faisant travailler plus longtemps les Français, la réforme va augmenter la production, responsable des crises écologiques, et aggraver encore l’inégale redistribution de la part de la valeur ajoutée entre travail et capital, explique le philosophe dans une tribune au « Monde ». Extraits :

La réforme des retraites est donc une répétition discrète de la politique qui a conduit le gouvernement à l’insurrection des « gilets jaunes ». Celui-ci semble n’avoir décidément rien appris, et ne pas être prêt à affronter sérieusement les défis qu’impose à nos sociétés ce que la philosophe Isabelle Stengers nomme « l’intrusion de Gaia ». […]

Comment veut-elle en effet résoudre un problème engendré par une confiance aveugle dans la vertu de l’augmentation de la production ? Par… l’augmentation de la production ! Cette réponse pavlovienne montre le manque d’imagination des élites politiques (mais aussi économiques et sociales), aussi bien nationales qu’internationales d’ailleurs, pour aborder les défis du présent. Elles n’ont pas encore pris la mesure de l’énormité du chantier au milieu duquel nous nous trouvons déjà. On parle de bifurcation, mais on ne s’en donne pas les moyens.

https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/31/reforme-des-retraites-le-cout-de-la-transition-ecologique-sera-porte-une-fois-de-plus-par-le-travail_6159918_3232.html

Nous recommandons également la chronique de Rémi Barroux, dans le Monde, paru le 26 février 2022 : « Le climat, un angle mort de la réforme des retraites ».

« Alors que les bouleversements climatiques vont profondément changer les conditions de travail, les rendant plus pénibles et impactant les organismes, le Conseil d’orientation des retraites n’en fait absolument pas état »