Dans une tribune parue fin août sur Mediapart, nous expliquons en quoi la crise que nous traversons doit nous ouvrir les yeux sur les réponses démocratiques, économiques, sociales, écologiques et culturelles que nous avons l’opportunité historique d’apporter. Nous y posons les raisons profondes de la fondation du Lierre : s’organiser pour engager une bifurcation radicale de nos politiques publiques.
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La crise que nous traversons doit nous ouvrir les yeux sur les réponses démocratiques, économiques, sociales, écologiques et culturelles que nous avons l’opportunité historique d’apporter. Des acteurs publics écologistes s’organisent pour engager une bifurcation radicale de nos politiques publiques. Par «Le lierre», réseau d’acteurs publics, d’experts et fonctionnaires se revendiquant de l’écologie politique.
Il est des moments dans l’histoire où une société voit s’offrir une opportunité historique, un instant unique et décisif pour son avenir. Dans l’Antiquité, les Grecs représentaient cet instant, ce Kaïros, sous la figure d’un dieu fuyant aux pieds ailés, les cheveux ras à l’exception d’une mèche de cheveux à l’avant du front : il signifiait qu’il fallait saisir le moment opportun, avant qu’il ne soit trop tard pour agir.
La crise que nous traversons doit nous ouvrir les yeux sur les réponses démocratiques, économiques, sociales, écologiques et culturelles que nous avons l’opportunité historique d’apporter. Deux chemins s’offrent à nous ; celui des tout petits pas prudents sur des sentiers balisés ou celui d’une bifurcation radicale et écologique de l’action publique, qui nous semble aujourd’hui indispensable pour construire un futur qui ne ressemble pas au présent.
Ce chemin de l’écologie, nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à l’emprunter, sous diverses formes : au sein des associations de protection de l’environnement ou par des actions de résistance contre les grands projets inutiles, dans la rue et les grandes marches de la génération climat, par l’engagement d’acteurs économiques pour produire autrement, ou au sein de la conférence citoyenne pour le climat proposant 150 mesures ambitieuses pour changer notre modèle de société. Enfin, après plusieurs mois d’une crise sanitaire puis économique sans précédent, nombre de nos concitoyens ont voté pour des programmes écologistes et solidaires au second tour des municipales pour engager nos territoires sur le chemin de l’écologie.
Mais ce nouveau souffle politique et citoyen menace de s’arrêter aux portes des institutions publiques et des administrations. Nous, acteurs publics, savons l’inertie que produit la reprise du fonctionnement habituel des grandes organisations en général et de l’administration en particulier. Nous savons aussi les résistances structurelles et culturelles qui peuvent freiner l’action de l’Etat en faveur de la transition écologique.
Si l’écologie politique peut gagner dans les urnes, pour gouverner avec ces nouveaux élus, elle a besoin de techniciens, de hauts fonctionnaires, d’experts des politiques publiques capables de réorienter profondément l’action publique. Il faut des fonctionnaires et agents publics pour changer de méthodes et mettre l’administration au contact de la société civile, des experts, des chercheurs et autres activistes. C’est l’objet du Lierre, le réseau d’acteurs publics, d’experts et d’activistes que nous formons et animons depuis bientôt un an.
Ce réseau est déjà actif au niveau local et lutte contre le réflexe de ceux qui souhaitent des plans de relance « à tout prix » et gardent les yeux fixés sur des objectifs de croissance dont ils perçoivent à peine les limites tout en privilégiant le court terme aux défis structurels. C’est ce que nous démontrent encore les plans de sauvetage de l’industrie aéronautique etautomobile ou le manque d’investissements dans la transition énergétique.
Discours après discours, l’écologie est édictée comme priorité au sommet de l’Etat, mais les actes sont en contradiction permanente avec les grandes déclarations. Parmi les acteurs du service public, grandit la certitude que nous n’agissions pas à la hauteur des enjeux d’une transition écologique radicale et juste. Ce décalage entre notre conscience des enjeux pour le bien commun et la réalité des politiques publiques que nous menons est aujourd’hui abyssal. Il porte atteinte à la vision même que nous nous faisons de l’action publique, qui se doit d’être au service de tous, aujourd’hui et pour les générations futures.
Les professionnels dans les hôpitaux nous en donnent la preuve : notre service public est un formidable atout pour répondre aux défis de résilience, de soutenabilité et de solidarité. Il en est de même dans les écoles ou les équipements culturels, quand on mobilise les acteurs publics pour transformer plutôt que de « rationaliser ».
Nous croyons que les pouvoirs publics doivent impulser et coordonner les changements devenus vitaux pour notre société, à condition de faire le choix d’une transformation des modes de fonctionnement traditionnels et d’assumer les débats liés aux défis économiques et sociaux à relever. Nous sommes plus que jamais convaincus que le dépassement de la société productiviste et consumériste exige aussi une réinvention du service public, par de nouvelle pratique administrative autorisant l’expérimentation, fonctionnant de manière plus horizontale, construisant les ponts avec les acteurs de terrain.
L’Etat-Providence ne s’est pas construit sans effort… il nous revient à présent, à nous acteurs publics, de penser et de construire un Etat-résilience propre à anticiper les crises qui viennent et à s’y adapter, à protéger les populations et les territoires les plus menacés, et à mettre au cœur de ses valeurs la solidarité, l’autonomie de la personne, la responsabilité écologique, la vitalité démocratique et la résilience face aux effondrements en cours ou à venir.
Nous nous engageons, aux côtés des élus et des citoyens, à inventer de nouvelles façons de construire et de conduire l’action publique et à adapter le service public à un monde en plein bouleversement. Nous ne céderons pas à la léthargie du « nouveau monde » et aux sirènes de la relance à tout prix. Nous serons présents pour rénover les outils de solidarité et de justice sociale. Nous porterons les propositions de la conférence citoyenne pour le climat. Nous mettrons en œuvre à tous les niveaux le changement de politique énergétique nécessaire à la transition écologique parce qu’il n’y a pas de plan B face au péril climatique. Nous serons là pour affronter les enjeux posés par les conséquences du réchauffement climatique et de l’effondrement de la biodiversité. Nous serons là pour concrétiser des politiques publiques à la hauteur des espérances de nos concitoyens et pour donner à notre démocratie le souffle dont elle aura besoin. Nous serons là pour faire de cette crise historique une opportunité de transformer notre monde.