Tribune pour la transformation écologique de l’enseignement supérieur

Dans une tribune parue le 19 juillet, Le Lierre s'associe à 11 organisations étudiantes et universitaires pour se réjouir des dernières avancées du Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et pour formuler des propositions cohérentes car l’indispensable transformation de l’enseignement supérieur pour faire face aux enjeux écologiques ne pourra aboutir sans les moyens humains et financiers adaptés.

Transformation écologique de l’enseignement supérieur : des avancées qui restent à concrétisertribune parue le 19 juillet 2023 sur AEF Info

Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) demande à l’ensemble des établissements de communiquer leur stratégie développement durable et responsabilité sociétale et environnementale (DD&RSE), et de former tous·tes les étudiant·es du premier cycle à la transition écologique. Nous nous réjouissons de cette avancée, mais l’indispensable transformation de l’enseignement supérieur pour faire face aux enjeux écologiques ne pourra aboutir sans les moyens humains et financiers adaptés. De plus, cette transformation doit agir au cœur des formations et être intégrée pleinement dans la stratégie de planification écologique du gouvernement.

Depuis cinq ans, les grèves étudiantes pour le climat, la signature médiatisée du Manifeste étudiant pour un réveil écologique et les prises de positions médiatiques de jeunes diplômés ont mis en évidence une lacune dans la formation aux enjeux de la transition écologique dans l’enseignement supérieur. Après plusieurs années d’un travail peu soutenu par le ministère, comprenant notamment le groupe Jouzel-Abbadie qui a rassemblé les principaux acteurs et actrices de l’enseignement supérieur autour de la formation aux enjeux écologiques, la dynamique s’accélère et un processus de transformation profond s’engage. Cette fin d’année académique est marquée par deux courriers du MESR, qui transmettent des recommandations concrètes aux établissements, à la fois sur leur programme de formation et leur fonctionnement.

Concernant la refonte des programmes, un socle de connaissances a été défini et un socle de compétences recommandé sur les enjeux écologiques. Le MESR préconise ainsi d’introduire au moins 30 heures de cours pour les étudiant·es du premier cycle sur ces sujets avec une validation a minima de 3 crédits ECTS. Un pôle national de ressources pédagogiques, porté par l’Université Virtuelle Environnement et Développement Durable (UVED), doit venir alimenter les contenus à disposition des enseignant·es. Enfin, l’engagement étudiant doit être mieux accompagné par la mise en place d’un·e référent·e dans l’établissement, et valorisé par des crédits ECTS.

En ce qui concerne le fonctionnement des établissements, le MESR stipule que les établissements devront adopter un schéma directeur avant fin 2024. Ces schémas devront comporter des parties obligatoires dans le cadre d’engagements nationaux et internationaux : la décarbonation des activités, la sobriété énergétique, l’impact environnemental et la préservation du vivant. Ils s’appuient sur les démarches existantes et se déclinent en cinq axes : gouvernance, formation, recherche, impact environnemental et enjeux sociaux. L’élaboration et la mise en œuvre du schéma devra être rattachée à la direction ou la présidence de l’établissement et un suivi sera réalisé par le MESR, notamment via les Contrats d’Objectifs et de Moyens. Ces recommandations marquent une avancée attendue et significative.
Néanmoins, pour que ce processus de transformation puisse aboutir, un travail et des moyens conséquents sont à fournir. Si les prochaines étapes annoncées vont dans le bon sens, il est impératif que les pouvoirs publics intensifient leur action sur quatre fronts.

  1. Former et mobiliser les enseignant·es. Un travail sur la formation des enseignant·es est annoncé pour l’année 2023-2024. Cet enjeu est en effet essentiel, et nous attendons que cette réflexion traite en particulier de la capacité à libérer du temps et valoriser le travail pédagogique effectué par les enseignant·es, notamment dans le cadre de leur carrière académique. Un travail de formation et de mobilisation des ingénieur·es pédagogiques est indispensable, pour que chaque enseignant·e puisse être accompagné et trouver conseil pour adapter ses cours.
  2. Apporter les moyens humains et financiers. Cette transformation nécessite des moyens conséquents, de passer d’une liste d’objectifs à une dynamique de mise en œuvre. Les questions soulevées par les moyens humains et financiers sont pourtant peu présentes dans les courriers du MESR : Comment déployer un socle de formation et transformer les cursus sans enseignant·es supplémentaires ? Comment définir et appliquer un schéma directeur ambitieux et systémique quand les moyens manquent ? Nous appelons à un financement pérenne et large, non cantonné à quelques lauréats d’appels à projets concurrentiels. Les moyens financiers devront être adaptés aux spécificités des établissements, et devront contribuer à la transformation de chacun d’entre eux, dans la même logique d’application à tous les établissements que pour les recommandations du ministère.
  3. Intégrer l’enseignement supérieur dans la planification écologique. L’approche portée par le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), rattaché à la Première ministre, ne saisit pas suffisamment la formation comme levier. Sans réflexion sur l’ensemble des besoins de compétences indispensables à la transition écologique, et aux leviers dans l’enseignement supérieur pour développer ces compétences, il sera impossible de mener une véritable planification écologique. L’enseignement supérieur ne doit pas être l’oublié de la stratégie de planification écologique nationale ni des financements dédiés à la transition. En complément du suivi des établissements par le MESR, il semble nécessaire d’assurer une coordination et un suivi à un niveau interministériel, via des indicateurs pertinents co-construits avec le SGPE.
  4. Alimenter la transformation de l’ensemble des cursus. Il est impératif d’intégrer les enjeux des transitions dans le cœur de la formation : dans l’idéal, en les intégrant pleinement aux disciplines enseignées, et pas seulement dans un bloc de cours dédié. Une approche systémique et interdisciplinaire, ancrée dans les formations choisies par les étudiants, est indispensable. Une multiplicité d’acteurs et d’actrices a entamé ce travail d’intégration au sein des cursus. Constituer et animer des communautés de pratiques dans chaque famille de discipline contribuerait fortement à alimenter ces transformations. Ce travail ne peut pas reposer uniquement sur des moyens constants du MESR. Il pourrait passer par exemple par une grande mission confiée à un acteur ou à un consortium d’acteurs d’intérêt général, comme France Stratégie, ou encore l’UVED, et déclinée en une quinzaine de grandes cultures de formation, en portant une attention à la représentation académique, étudiante, et du monde socio-économique. Ces groupes de travail s’appuieront sur les travaux existants pour préciser rapidement des référentiels de connaissance et compétences évolutifs, à même d’irriguer les maquettes pédagogiques dans le respect de la liberté académique. Ils pourront ensuite se détacher de la structure coordinatrice et s’ancrer dans une dynamique d’amélioration continue et de retours d’expériences entre enseignant·es.

Plus que jamais, il est temps de considérer l’immense potentiel de l’enseignement supérieur comme levier transformateur, non seulement pour sensibiliser et former, mais aussi pour aussi pour guider nos sociétés vers un avenir souhaitable. Nous espérons que ces premiers pas ambitieux se déclineront dans une politique et un soutien cohérents, dès à présent et pour les années à venir.

Les signataires de la tribune sont :

  • La CGE (Conférence des grandes écoles)
  • La Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs)
  • Les VP Trees
  • L’Unef (Union nationale des étudiants de France)
  • La Fage (Fédération des associations générales étudiantes)
  • Le BNEI (Bureau national des élèves-ingénieurs)
  • Le Campus de la transition
  • Le collectif Pour un réveil écologique
  • Le Lierre
  • The Shift Project
  • Le Reses (Réseau étudiant pour une société écologique et solidaire)
  • La CTES (Convention pour la transition des établissements du supérieur)