Dans une tribune au Monde (en ligne ici), Le Lierre et Terres de Liens appellent dans une tribune au « Monde » à une meilleure régulation du foncier agricole pour favoriser la transition de l’agriculture française vers un modèle durable.
Le pacte et la loi d’orientation et d’avenir agricole, qui doit définir l’avenir de l’agriculture française et fait aujourd’hui l’objet de concertations, doivent s’emparer de la préservation des terres agricoles, enjeu majeur face à la perte de souveraineté alimentaire de la France et aux défis environnementaux et climatiques auxquels son agriculture est confrontée.
Près de 20 % des surfaces agricoles ont disparu en cinquante ans. L’artificialisation des sols enfouit sous le béton des hectares de terres fertiles. La spéculation foncière incite de nombreux propriétaires à laisser leurs terrains agricoles en friche, dans l’espoir que ceux-ci leur rapportent beaucoup d’argent en devenant un jour constructibles, rendant ainsi improductive une part non négligeable du foncier agricole.
Pour préserver leur volume et rendre sans objet cet attentisme, il devient impératif d’appliquer sans compromis le principe de zéro artificialisation nette (ZAN) ; les départements et intercommunalités doivent sanctuariser les espaces agricoles grâce aux outils à leur disposition (zones agricoles protégées et zones de protection des espaces agricoles et naturels périurbains).
Réguler le marché du foncier
Le législateur doit renforcer ces protections et les dupliquer aux espaces forestiers et naturels, maillons essentiels d’un système agroécologique.Il faudrait également assouplir et généraliser l’usage de la « procédure terres incultes », qui rappelle aux propriétaires l’obligation de cultiver leurs terres, directement ou par un agriculteur.
Par ailleurs, les pratiques agricoles intensives en intrants et en travail des sols ont accru l’érosion et la pollution chimique des terres, qui perdent leur fertilité. Il est donc indispensable de généraliser les systèmes de production agroécologiques, seuls à même de préserver et de restaurer l’intégrité des sols. Cette nécessité doit être consacrée dans le pacte et la loi d’orientation et d’avenir agricole en prévoyant qu’à chaque transfert d’usage (vente ou mise à bail), les terres soient allouées en priorité à des projets agroécologiques ou en agriculture biologique.
Il faut également faciliter l’accès aux terres pour les agriculteurs en régulant les marchés fonciers. 14 % de la surface agricole utile du pays, soit 3,7 millions d’hectares, est déjà sous le contrôle de sociétés financiarisées, soit un doublement en vingt ans. Ce phénomène pose deux problèmes. En premier lieu, ces firmes accroissent la tension sur le foncier en achetant les parts sociales des entreprises agricoles à des prix bien au-dessus de ceux du marché.
Réaffecter du foncier à des projets agroécologiques
Par ailleurs, elles s’émancipent du contrôle des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), dont le rôle est de veiller à ce que les terres agricoles soient orientées vers des projets agricoles à des prix correspondant au marché. Aujourd’hui, certaines cessions de parts ne sont pas soumises à autorisation, les seuils de déclenchement de l’autorisation sont élevés et les moyens de contrôle donnés aux Safer sont limités.
Actuellement, deux tiers des surfaces qui se libèrent partent à l’agrandissement des fermes, ce qui a contribué à augmenter les surfaces moyennes de 42 à 69 ha en vingt ans, confortant l’industrialisation de la production, sans nécessité pour la viabilité des fermes et au détriment de l’accès à la terre d’autres agriculteurs.
En parallèle de ces trois défis, le foncier agricole français va connaître un bouleversement profond sous l’effet d’un double mouvement : 25 % des agriculteurs partiront à la retraite d’ici dix ans, et la moitié des surfaces agricoles, détenues par des plus de 65 ans, pourrait changer de main. Cette transformation est l’occasion de réaffecter du foncier à des projets agroécologiques, en opérant un saut qualitatif.
Sans rupture légale ou administrative
Les Safer doivent devenir des actrices majeures de la transition agroécologique, ce qui nécessite d’étendre leur contrôle à toutes formes de cessions de parts, de décorréler leur financement des opérations immobilières qu’elles réalisent et de rendre plus transparentes leurs décisions. Il faut également en équilibrer la gouvernance entre professions agricoles, pouvoirs publics et société civile.
Il est nécessaire de garantir que les schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles (SDREA) – qui orientent les attributions d’autorisation d’exploiter et les décisions des Safer – donnent systématiquement la priorité aux projets agroécologiques et en agriculture biologique. Les collectivités territoriales, qui ont un rôle à jouer dans l’élaboration des SDREA, disposent d’une palette d’outils pour préserver les terres agricoles, par l’aménagement du territoire ou le rachat des terres, afin de les louer en régie.
Les pouvoirs publics ont tous les outils en main pour impulser une préservation de la terre au bénéfice d’une agriculture paysanne, sans qu’il soit nécessaire d’opérer de rupture légale ou administrative dans la gestion et l’organisation du foncier agricole.
Tribune rédigée par Geneviève Bernard (Terre de Liens) et plusieurs experts de l’agriculture et de l’alimentation du Groupe de travail Agriculture & Alimentation du Lierre dont Vincent Carlier.