L’État peine à se mettre au diapason de l’urgence climatique. Pire, des blocages et des résistances persistent au sein de son administration. Si les manifestations concrètes de la crise écologique et des attentes citoyennes commencent à faire bouger des lignes, la prise de conscience et l’adaptation sont trop lentes dans la haute administration. Plusieurs freins peuvent expliquer le décalage entre la réalité de la situation et des réponses pour y faire face.
Le premier de ces freins est sans doute culturel, il trouve son origine dans la formation initiale et continue des responsables de l’administration. Les enjeux écologiques et les sciences du vivant sont quasiment absents des cursus des formations qui conduisent à ces fonctions, et le prisme économique prédomine. Ainsi, des profils de techniciens continuent à imposer une approche gestionnaire et budgétaire des dossiers. Leurs voix, notamment à Bercy, pèsent le plus dans les arbitrages interministériels.
L’écologie ne fait toujours pas partie du logiciel de la haute administration. Jusqu’à très récemment, elle était perçue comme une menace ou comme une douce utopie, aujourd’hui elle peut être un supplément d’âme ou une figure imposée qu’il faut exécuter, sans conviction.
L’action de l’administration d’État se trouve également entravée par ses contraintes internes. Le fonctionnement de l’État est trop souvent cloisonné et l’écologie, par définition systémique, n’y trouve pas sa place. Il manque une impulsion transversale.
De la même manière, les ministères sont encore souvent prisonniers des porteurs d’intérêts privés auxquels leur action est exclusivement dédiée : l’agriculture parle aux syndicats agricoles conventionnels, dans une logique historique de cogestion ; le logement aux acteurs de la construction ; les transports sont dominés par le poids du secteur automobile et l’économie comme l’énergie par le nucléaire et le modèle centralisé de société qu’il suppose…
Au final, les sujets environnementaux sont relégués très loin du rang des priorités.
Par ailleurs, la trop faible place des garanties environnementales dans le code des marchés publics et l’annualité des objectifs budgétaires empêchent de porter des politiques publiques sur le long terme.
Enfin, un des derniers freins réside dans le cloisonnement quasi hermétique avec les collectivités territoriales. Il existe peu de liens directs entre l’administration des ministères, les grands corps d’Etat et l’administration des collectivités. Cette absence de culture commune et d’échanges structurés est un handicap pour comprendre les besoins des territoires et accompagner les transformations nécessaires.
La haute administration se trouve désormais devant un impératif de transformation et de renouvellement. Cette transformation implique une impulsion politique forte. Des objectifs ambitieux doivent être fixés à tous les ministères et à leurs directions. Les entités publiques ont l’opportunité d’être exemplaires en matière sociale et environnementale. Elles peuvent adopter des organisations et des modes de fonctionnement plus sobres dans leurs consommations matérielles, plus démocratiques et respectueuses du bien-être de leurs agents.
Relever le défi écologique implique aussi d’innover et de développer de nouvelles méthodes qui favorisent le dialogue social, la participation des professionnels et des citoyens. La période de confinement a fait réémerger des réseaux de solidarité entre habitants autour des enjeux du quotidien – se nourrir, se déplacer, prendre soin des plus vulnérables. Les structures publiques doivent pouvoir tester des modes de fonctionnement qui ne soient plus exclusivement hiérarchiques et descendants. Des espaces de réflexion doivent s’offrir aux agents publics pour faire changer les pratiques de leurs organisations.
Jacques Archimbaud est ancien vice-président de la Commission nationale du débat public. Il a été membre des cabinets des ministres de l’environnement et du logement.
François Langlois est haut fonctionnaire d’Etat (Cour des comptes, sous-préfet) et en collectivités territoriales (directeur général des services de la Région PACA puis de la Ville de Grenoble).
Dominique Méda est haut fonctionnaire et professeure d’université. Tous sont membres du comité d’orientation du Lierre, un réseau qui regroupe plusieurs centaines de hauts fonctionnaires, responsables et experts de l’action publique, de sensibilité écologiste