Dans cette tribune parue ce 21 novembre sur le site du Monde (à retrouver ici), le Lierre propose de faire du bio la locomotive d’une transition agricole et alimentaire juste. Cette tribune s’inscrit dans le cycle de travail de notre groupe d’experts (GT AgriAlim du Lierre) qui ont publié en juin 2023 une première note en faveur d’une véritable stratégie de transformation agricole et alimentaire, suivie d’une deuxième note en juillet 2023 intitulée « Un choc de gouvernance du secteur agricole et alimentaire en faveur de l’agroécologie et des comportements alimentaires soutenables ”, avec 14 propositions pour transformer la gouvernance du système agricole et alimentaire.
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« Notre système alimentaire doit être transformé pour garantir l’accès de toute la population à une alimentation saine, respectant les conditions de vie des agriculteurs et les limites planétaires. C’est crucial pour restaurer les équilibres sociaux et environnementaux, pour assurer la sécurité alimentaire, et pour éviter des maladies et pollutions dont la prise en charge coûte des centaines de millions d’euros.
Cela nécessite la généralisation des systèmes de production agroécologiques, qui s’appuient sur le fonctionnement des écosystèmes pour limiter les intrants de synthèse. L’agriculture biologique en est une des formes les plus avancées, avec des bénéfices avérés pour la santé et l’environnement et une démarche de progrès continue à encourager.
Pourtant, le bio connaît une crise majeure, qui entraîne une chute du revenu des agriculteurs et risque de faire reculer le secteur sous 10 % de la surface agricole, alors que le gouvernement a pour objectif 21 % en 2030. Cette situation résulte de politiques inadaptées, qui fragilisent la production bio et réserve sa consommation aux plus aisés.
Un engagement plus fort de l’État au bio
En 2023, la production bio est trop faiblement soutenue par rapport aux systèmes intensifs fortement utilisateurs d’intrants de synthèse, très aidés malgré de moindres contraintes de production et des coûts cachés pour l’environnement et la santé. Le soutien à la consommation bio est faible, et même la restauration collective publique ne respecte pas l’obligation de 20 % d’achats bio. Les filières bio ne disposent pas d’outils adaptés pour gérer les crises de surproduction. Conséquences : la viabilité économique du bio n’est pas assurée, le soutien au bio pèse sur les consommateurs, et les plus modestes y ont peu accès. L’inflation actuelle aggrave encore plus la situation.
Il est temps que l’État envoie un message clair : toute l’agriculture française doit passer à l’agroécologie et, partout où c’est pertinent, au bio, et toute la population doit accéder à ces produits de qualité ! Cela appelle un engagement fort des ministères chargés de l’agriculture et de l’alimentation, mais aussi de l’écologie, des territoires, de l’énergie, de la santé, des solidarités, de l’économie, des finances et de l’éducation, sous la houlette de la première ministre.
Les semaines à venir sont cruciales pour faire du bio un des fers de lance de la transition vers un modèle plus écologique et plus juste. Les débats sur le budget 2024, la loi d’orientation et d’avenir agricoles et la « stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat » (SNANC) sont l’occasion de compléter les aides d’urgence en adaptant les règles, en informant mieux et en réorientant l’argent public d’une manière qui permettra à terme de réduire les dépenses de santé et de dépollution. Nous identifions ici trois axes d’action.
Les trois priorités pour le bio
La priorité des priorités est de démocratiser l’accès au bio. Pour cela, les marges de la distribution doivent être surveillées, et le rapport ministériel attendu sur ce sujet doit être publié sans délai. La SNANC est aussi l’occasion de favoriser une alimentation basée sur des produits moins transformés et plus de produits végétaux : cela facilitera le passage au bio car ces produits sont moins chers à qualité nutritionnelle équivalente. Pour atteindre réellement 20 % de bio en restauration collective publique, les 120 millions d’euros d’achats bio promis par l’État doivent être au rendez-vous, et il est indispensable de financer des équipements et du personnel formé. Quant aux expérimentations de sécurité sociale de l’alimentation, elles méritent aussi un soutien plus important pour avancer vers un accès juste à l’alimentation.
Une deuxième priorité est de mieux informer sur les intérêts du bio pour consommer en connaissance de cause et favoriser l’environnement et la santé. Il serait utile de renforcer et de pérenniser les budgets publics de communication et d’éducation, de rendre effective l’information sur le bio dans la restauration collective, et d’assurer sur les emballages un affichage environnemental, nutritionnel et pour la santé complet.
En troisième lieu, des actions spécifiques sont nécessaires pour garantir la viabilité économique du bio, en plus des mesures précédentes soutenant les débouchés. D’abord, mieux anticiper et gérer les crises en améliorant le suivi des filières bio et en mettant en place des outils de gestion de la surproduction adaptés aux filières bio. L’État pourrait aussi pousser les interprofessions à mieux tenir compte du bio en renforçant le rôle des acteurs bio dans leur gouvernance, voire en réfléchissant à une interprofession du bio.
Réorienter la PAC vers le bio
Ensuite, réorienter dès 2024 les aides de la politique agricole commune (PAC) en France, pour soutenir davantage le bio et réduire les aides aux systèmes intensifs en intrants de synthèse. Cette réallocation permettrait de mieux tenir compte des coûts cachés de ces systèmes intensifs et des bénéfices du bio, et éviterait de trop faire peser le soutien au bio sur les consommateurs. Enfin, donner aux agriculteurs l’accès aux terres et l’appui technique pour se lancer en bio.
La loi d’orientation et d’avenir agricoles est l’occasion de prioriser davantage les projets bio dans les règles d’attribution du foncier et les transmissions. Cette loi devrait aussi renforcer la place du bio dans les formations agricoles. L’État pourrait aussi renforcer les dispositifs de R&D et de conseil, et notamment pousser les chambres d’agriculture à mieux accompagner le bio. Ces mesures renforceront la justice sociale de notre système alimentaire pour les consommateurs et agriculteurs, tout en le rendant plus respectueux des équilibres environnementaux. »
Tribune rédigée par Matthieu Combaud, Marc Pascal plusieurs experts de l’agriculture et de l’alimentation du Groupe de travail Agriculture & Alimentation du Lierre