Retour sur les Rencontres des nouvelles pensées de l’écologie

Billet de Wandrille Jumeaux suite aux 1e Rencontres des nouvelles pensées de l'écologie, sur les enseignements et les perspsectives pour le Lierre.

Depuis plusieurs années, la pensée sur l’écologie bourgeonne. Si les pionniers comme Ivan Illich, André Gorz, Murray Bookchin, Denis Meadows, Rachel Carson, Hans Jonas et tant d’autres avaient posé les bases dans les années 1960 et 1970, on assiste depuis les années 2000 à un renouvellement profond des approches et des questionnements. Non pas que les « anciens » soient dépassés — on reste surpris de la pertinence de leurs analyses —, mais l’urgence écologique est telle que de nouveaux penseurs renouvellent le cadre d’analyse et de pensée, à l’aune de l’état actuel de nos sociétés et notamment des dynamiques et des crises qui les traversent.

C’est la raison pour laquelle Le Lierre s’est associé à l’initiative de L’Instant d’après, un collectif né à Cluny (Saône-et-Loire), pour lancer les Rencontres des nouvelles pensées de l’écologie. Pendant deux jours, dans ce haut lieu historique de la pensée et dans un terroir tourné vers l’écologie, nous nous sommes retrouvés pour écouter et discuter avec Dominique Bourg, Catherine Larrère, Lucile Schmid, Corinne Morel Darleux, Barbara Glowcszewski, Fabrice Flipo, Hervé Kempf et bien d’autres intellectuels et praticiens de l’écologie. Ces deux jours de confrontation entre des intellectuels, des militants écologistes, des Gilets jaunes, des éco féministes, des décroissants, des disciples de Bruno Latour et bien d’autres, nous avons exploré les voies d’une pensée écologiste renouvelée, plurielle, ouverte à la diversité des appartenances et à la pluralité des débouchés ou modes d’action.

Participant à ces rencontres (voir le récit de Reporterre), je retiens de ces journées trois constats et autant de chantiers à conduire.

Premier constat : L’écologie est plurielle et le restera. Les rencontres furent utiles pour partager la diversité des pensées, approches, initiatives et solutions écologistes. Ce dialogue est enrichissant pour comprendre ces différences, et pourquoi elles ne font pas toujours système. Il reste un immense travail de pensée philosophique et politique pour penser autrement la place de l’humanité sur la Terre, car on ne résout pas une crise avec le mode de pensée qui l’a engendré. La croissance verte n’existe pas, elle est un mythe inatteignable dès lors que nous prenons conscience des limites planétaires. Il demeure qu’il existe des divergences fortes sur les solutions à promouvoir et généraliser et les chemins de la transition sont longs et sinueux – comme l’illustrent les scénarios de l’ADEME et le nécessaire recours au low tech, face à l’illusion des green tech. Il faut donc accepter cette diversité d’approche et la conflictualité qui en découle, avec les adversaires mais aussi les partenaires avec qui construire des alliances.

Ce constat impose une culture du dialogue et respect mutuel, sans renoncer pour autant à nommer des ennemis, à savoir ceux qui refusent de tenir compte de l’impact de leur vie (et mode de vie) sur l’environnement et les autres (les autres vies et les autres générations).

Deuxième constat : L’écologie est éminemment politique, car elle interroge l’entièreté de nos vies, de notre condition d’être sur Terre et des conditions d’habitabilité de la planète. Nous vivons l’Anthropocène et une ère de vulnérabilité croissante, avec la grande contraction de l’espace, des ressources et du temps – conséquence de la mondialisation – qui nous rend vulnérables et interdépendants car plus que jamais sujets à des réactions et interactions venant du monde entier. Chaque acte compte et oblige à une grande responsabilité dans la prise de décision et l’analyse qui la précède. Par conséquent, l’environnement et l’écologie ne peuvent être un facteur à part, à côté de l’économique et du social. La question écologique ne peut s’additionner à celle du social, de la démocratie ou des modes de production, elle doit les traverser et les bousculer, jusque dans leurs fondements. Nous ne pouvons plus opposer fin du monde et fin du mois, parce que ce sont deux dimensions d’un même sujet : le devenir de l’Humanité et de ses conditions d’habitabilité du monde, que nous ne pouvons dissocier d’un idéal de justice sociale, de solidarité et de dignité pour tous..

Il faut inventer un nouveau cadre d’action politique, pour penser et agir sur les transitions et transformations sociales, économiques, culturelles, démocratiques et écologiques à mettre en œuvre. Il nous faut aussi construire le débat démocratique sur comment produire et consommer moins de ressources, à partir d’une prise de conscience de l’empreinte environnementale de nos modes de vie

Pour se faire, nous ne pouvons pas délaisser le champ institutionnel. La conquête du pouvoir reste un objectif incontournable puisque les leviers du pouvoir politique et institutionnel sont indispensables pour lever l’impôt (et ceux des plus riches), financer les investissements nécessaire aux transitions, renforcer nos services publics, voter les lois pour fixer de nouvelles règles, ré-orienter notre diplomatie et porter la parole de la France à l’international). 

Dernier constat : dans le contexte de l’urgence et des crises, il faut parler au plus grand nombre. Et pour cela, clarifier les récits, les discours, les visions de l’avenir, les imaginaires et les mots à employer. Pas seulement pour annoncer des catastrophes mais pour donner du sens, indiquer une direction, donner envie d’un monde meilleur. 

Dit autrement, nous devons investir la bataille culturelle et la question de la mise en récit, pour :

  • Dépasser le statut de lanceur d’alerte et la figure de porteurs de mauvaises nouvelles, dont les écologistes sont souvent porteurs. Surtout que les écologistes sont passés d’un discours prédictif (« le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité vont provoquer des catastrophes ») à un discours descriptif et constatatif (« la crise sanitaire du COVID19 est liée à l’effondrement de la biodiversité et des écosystèmes » ou « l’accélération des événements climatiques extrêmes menace notre pays et tue des habitants »).
  • Donner envie de vivre, projeter un imaginaire positif et désirable pour le futur de l’Humanité, individuellement et collectivement. Ça implique aussi de mobiliser le sens, la créativité, la sensibilité des citoyens (notamment par la fiction) pour faire évoluer les représentations et modes de vie mais également défendre un réel attachement à la beauté du monde. Il s’agit également de ré-orienter et redéfinir l’éternelle « aspiration à la grandeur » des Hommes, pour lui donner un sens nouveau, moins anthropocentré, autour des valeurs du vivant.
  • Combattre l’impuissance et renforcer l’écosystème des acteurs mobilisés pour la transition écologique et solidaire, car il est urgent de construire les alliances de long-terme avec des forces culturelles et sociales qui aspirent elles aussi à ce que la révolution écologique soit synonyme de justice sociale et d’un nouveau rapport à la Terre.

Avec des membres du Lierre, nous prenons l’engagement de décliner à notre échelle les grands enseignements de ces Rencontres et d’y apporter notre contribution dans l’avancement de ces chantiers, en poursuivant notre action de rencontres, formations et mise en réseau des acteurs publics engagés pour la transition. C’est ainsi notre façon d’agir, ici et maintenant, en nouveau régime climatique et de contribuer à l’émergence de la classe écologique qu’appelait de ses vœux Bruno Latour.

Wandrille JUMEAUX, Administrateur territorial et co-fondateur du Lierre