Dans une tribune au Monde, Sébastien Soriano (IGN) Bertrand Monthubert Chloe Clair Léa Bodossian Thomas COTTINET Clothilde Fretin-Brunet et Wandrille Jumeaux (cofondateur du Lierre) avancent l’idée qu’il faut construire un langage commun de la donnée pour éclairer – de façon claire, transparente et démocratique – les choix futurs en matière de planification et transition écologique ! Retrouvez la tribune sur le site du Monde.
La COP27 a confirmé ce que l’été 2022 et la crise énergétique actuelle avaient esquissé : il n’est plus possible d’attendre pour mettre en œuvre les transitions. Les données, de toute nature, sont un outil indispensable à la conduite de ces transitions.
Car, pour agir efficacement et dans les temps impartis, il faut connaître et comprendre les transformations qui impactent de plus en plus fréquemment et violemment nos environnements. Il faut pouvoir « décider en temps réel » pour répondre aux crises. Cela implique un travail d’observation, de description, d’analyse et de prédiction dans un langage commun dont nous devons prendre la mesure.
C’est à ce travail que s’emploient au quotidien les acteurs d’un secteur en expansion : celui de la donnée. Souvent invisible, il est pourtant l’une des conditions du déploiement éclairé des politiques publiques de la transition écologique et énergétique. A l’image de la donnée géographique, ce secteur de la donnée est également un enjeu-clé pour la souveraineté française.
Les mégafeux ont attiré l’attention sur le suivi de l’état des forêts. Mais comment obtenir ces informations précieuses ? C’est le rôle de grands programmes nationaux de constituer des référentiels, comme l’inventaire forestier de l’IGN. Puis, pour anticiper les risques, il faut croiser ces données avec celles des collectivités territoriales, de Météo-France et de l’Insee.
La donnée ne permet pas uniquement de connaître l’état du territoire à un instant T : le développement des modèles automatiques et prédictifs mobilisant de l’intelligence artificielle accélère le traitement des informations. Visualiser ces données permet alors de calibrer les actions préventives ou palliatives : c’est l’enjeu des jumeaux numériques, destinés à modéliser notre environnement en 3D pour simuler son évolution future en fonction des dynamiques environnementales, politiques et humaines.
Outiller le débat démocratique
Ainsi la sobriété requiert-elle une cartographie des bâtiments qui ont le plus gros potentiel de rénovation thermique : là encore, il faut créer des bases de données, faire des calculs complexes de performance énergétique, de consommation individuelle… dans un cadre éthique et protecteur de la vie privée. Il en est de même pour l’objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN), en 2050, qui exige des référentiels pour connaître l’occupation du sol.
De prime abord technique, cet investissement dans la donnée nous concerne toutes et tous : il doit devenir l’équivalent de ce que nous avons connu il y a plus de deux siècles, avec la création du mètre étalon. Il nous faut ces données de référence pour avoir un langage commun et outiller le débat démocratique. Prenons l’exemple de l’artificialisation des sols : si chacun se réfère à des données différentes, des conflits généreront des blocages dans les projets d’aménagement de l’espace et les projets immobiliers. Le référentiel d’occupation du sol est nécessaire pour les documents d’urbanisme.
Pour bâtir cet indispensable langage commun de la description du territoire, les principaux acteurs se rassemblent au sein du Conseil national de l’information géolocalisée (CNIG). Renouvelé par un décret récent qui élargit son périmètre d’action et ses membres, le CNIG réunit plus de 500 personnes qui travaillent ensemble à la définition de bases de données de référence. Oui, la France dispose d’un vaste écosystème d’excellence consacré à la donnée : entreprises, acteurs publics, laboratoires de recherche, initiatives citoyennes !
Par exemple, la plate-forme de la société NamR met à disposition des territoires un cadastre solaire pour calculer le potentiel photovoltaïque des bâtiments. L’université Gustave-Eiffel a développé un outil de navigation immersive au sein d’un très grand volume de données 3D. Les collectivités territoriales sont des acteurs indispensables par leur contact quotidien du terrain et leur production de données. Sans oublier des collectifs citoyens comme OpenStreetMap, une base ouverte de données géographiques qui contribuent à la description du territoire.
C’est l’union des énergies de tous les acteurs de la donnée qui assurera la définition d’outils communs mobilisables par tous. Il faut pour cela une politique de la donnée ambitieuse, reconnue comme un réel enjeu politique et pas uniquement technique. Il faut passer à l’échelle les initiatives parfois dispersées, soutenir l’innovation, recruter des talents dans l’administration, organiser des appels à communs sur des thématiques d’intérêt partagé, mettre en place des infrastructures communes.
La France, par ses établissements publics d’excellence et par son modèle d’organisation collective autour des données publiques, a un rôle de premier plan à jouer dans la constitution des référentiels communs européens : un impératif pour notre souveraineté. Ensemble, nous pouvons apporter encore plus à la planification écologique avec objectivité, efficacité et justice.
Liste des signataires : Bertrand Monthubert, président du CNIG ; Sébastien Soriano, directeur général de l’IGN ; Thomas Cottinet, directeur d’Ecolab, ministères des transitions écologique et énergétique et de la cohésion des territoires ; Jean-Marie Séïté, président de l’Afigeo ; Chloé Clair, CEO de NamR ; Léa Bodossian, secrétaire générale d’EuroGeographics ; Wandrille Jumeaux, cofondateur du Lierre ; Clothilde Fretin-Brunet, vice-présidente de l’Association des administrateurs territoriaux de France (AATF).